
Tapis de Pazyryk – env -330 av JC
Convoiter ce qui est inaccessible ou vouloir maitriser ce qui est immaitrisable pourrait être un des traits du caractère humain. Entre « jardin perpétuel » et « messagers » du divin le tapis semble caractériser la volonté de l’homme de contrôler son environnement.
Le plus ancien tapis connu à ce jour a été retrouvé lors d’une fouille en 1949 dans les monts Altaï, dans une vallée du nom de Pazyryk. Ce tapis, trouvé dans la tombe d’un prince Scythe, daterait de la période Achéménide aux environ de -330 av JC. Il dévoile un savoir-faire unique témoignant d’une grande maîtrise ainsi qu’il ouvre la porte d’une histoire chargée de couleurs de tapis.
Au cours des différentes périodes de l’histoire de la Perse jusqu’à l’Iran actuel le tapis semble être un point central, voire omniprésent dans l’art et la culture de cette région.
Quelle serait la valeur ou l’importance réelle du tapis persan au Moyen-Orient ?
Tout d’abord nous allons voir en quoi les tapis persans, chargés d’une histoire d’au moins 2500 ans, témoigne d’un savoir-faire unique à cette région qu’est la Perse. Ensuite nous envisagerons le tapis en tant qu’objet, regroupant en son sein de multiples codes et caractéristiques propres qui lui confèrent un statut particulier. Enfin nous verrons en quoi la valeur imaginaire du tapis persan est portée par de multiples motifs, symboles et significations lui octroyant une dimension spirituelle.
I. HISTOIRE DU TAPIS
I.1. OBJET NOMADE
L’histoire du tapis commence par des peaux de bêtes tannées, que les Hommes étendaient sur le sol afin de s’isoler du froid. Dans une volonté d’imiter le poil de l’animal, l’Homme a reproduit l’épaisseur des toisons ; selon les propos de Roland Gilles expert et historien d’art dans le catalogue de l’exposition « Le ciel dans un tapis ». Du poil serait alors né le nœud permettant d’apporter un volume à la planéité, se différenciant ainsi d’autres tissages tel la natte.
Le tapis noué trouverait ses origines chez les peuples Turkmène, dans l’actuelle Asie Centrale. Chez ces nomades, le tapis vise à fournir un confort utile, l’isolation dans les tentes. « En Orient, l’origine nomade du tapis est reconnue. Les peaux de bêtes, puis les nattes recouvrant sol et parois de la yourte traditionnelle pour protéger du froid font peu à peu place aux tapis. Objets de nécessité assurant un meilleur confort dans la tente, les qualités esthétiques des tapis se précisent grâce à l’inspiration créatrice et au don de matérialiser les rêves de celles et ceux qui les produisent. ». Il peut être intéressant de comprendre la place qu’occupe le tapis, simple objet isolant à la base, dans le monde moyen-oriental. D’abord d’une réelle utilité pour les nomades en termes d’isolation du froid mais aussi en termes de confort physique entre le corps et la terre, il minimise les irrégularités du sol, il est facile à installer et à transporter roulé ou plié dans leurs chargements. Les tapis sont alors un atout majeur étant à la fois transportable et isolant.
Dans le documentaire d’Arte sur les tapis persans, une jeune guide iranienne raconte que « lorsque le roi descendait de cheval il mettait le pied sur un tabouret en or puis on étendait devant lui des tapis qui formait ainsi un chemin jusqu’à l’entrée du palais. » Le roi dont parle la jeune guide serait un des trois roi Achéménide (IVème siècle av JC). Les tapis facilement transportables faisaient partie du chargement des caravanes et permettaient au roi de pouvoir rejoindre son palais sans fouler le sol. D’un objet du quotidien il devient un objet précieux et protocolaire évoqué encore dans les tapis rouges d’aujourd’hui.
I.2. SEDENTARISATION DE LA FABRICATION
On constate alors un savoir-faire qui remonte à environ 2500 ans. De la période Achéménide (VIème siècle av JC) à aujourd’hui, la production de tapis semble perdurer et prospérer. Les Safavides, dynastie qui régna sur l’Iran de 1501 à 1736, ont transformé la production plutôt artisanale réalisée par les nomades en l’élevant au rang « d’industrie nationale ». La réputation de la Perse en a fait un genre à part entière : les « Tapis Persans ». Ce style répond à des critères formels tels que la qualité de la fibre (végétales ou animale), la qualité des teintures naturelles (Le rouge obtenu par la garance, les bleus indigo par l’indigotier, le jaune par les feuilles de vignes…) et la technique des nœuds à la main (nœud symétrique turc ou Ghiordès, le nœud asymétrique perse ou Senneh).
Il s’agit d’un vrai savoir-faire. L’aspect culturel du tapis est la cristallisation de l’identité « traditionnelle » et sociale de la Perse, caractérisée par un produit artisanal plutôt quotidien et commun. Le tapis serait devenu dans le temps un produit plus luxueux visant à affirmer un certain rang social, une importance qui contraste avec l’origine plutôt modeste des populations locales souvent nomades de Perse.
La sédentarisation des artisans amène à l’évolution des procédés techniques de fabrication ce qui permit de rendre accessible des tapis aux motifs plus complexes ou de tailles plus grandes.
L’esthétique et la fonction utilitaire se trouvent aussi directement liées avec les tapis de prières islamiques. En effet, l’Islam préconise de faire la prière sur un territoire propre et indemne de souillure ainsi que sur un espace délimité. « Tout lieu de prière revêt un caractère sacré (hurma) et il convient de le délimiter par rapport à un objet quelconque – un mur, un lit, un arbre, une canne, un voile, un trait sur la terre – de manière que le fidèle qui prie ait le sentiment d’être isolé du monde, seul avec Dieu ». Le tapis, en ce sens offre au fidèle un moyen de prier partout sur un territoire délimité et propre. De plus les motifs ou dessins des tapis de prière sont souvent réalisés à l’image des mosquées.
I.3. DEVELOPPEMENT ARTISTIQUE
Les tapis sont devenus avec les Safavides, le support d’une nouvelle expression. Les peuples nomades d’Anatolie ou de la région du Caucase emploi des motifs plutôt géométrique transmît de générations en générations et qui permettrais une certaine identification. Les tapis où l’on retrouve les motifs plus curvilignes et floraux sont dû à une évolution qui semble suivre celle de l’art islamique. Cette évolution semble due à l’apparition des cartons de tapisserie dessiné ou peint par des « maitre » (ostad) qui eux ne tissent pas. Un plus grand panel de motifs semble émerger. Les tapis racontent des histoires, l’histoire de la perse, l’histoire des souverains. Hossein Bordbar, négociant en tapis à Ispahan en Iran, raconte que « c’est le temps qui fait le tapis parce qu’un tapis c’est un concentré d’histoire, de culture et c’est une vision du monde ». A la manière d’une peinture de maitre, le tapis est la toile du peintre témoignant du monde. La forte présence d’éléments floraux et végétales dans les motifs des tapis témoigne d’une volonté de recréer des jardins notamment par le caractère très ordonné et géométrique de l’organisation des motifs. Le jardin serait une trace du pouvoir de l’homme sur la nature.
II.LE TAPIS OBJET
II.1. FORME ENTRE LIMITE ET ESPACE
Le format rectangulaire du tapis est-il la résultante d’un souci technique de production du fait de la structure même des métiers à tisser ? Format comparable aux papiers d’écriture, relève-t-il d’une volonté esthétique et médiumnique, où le message serait ainsi plus lisible ?
Différents formats existent du fait des différents métiers à tisser et de leurs évolutions. Du métier horizontal facilement transportable des nomades jusqu’au métiers que l’ont retrouve encore aujourd’hui à deux ensouples rotatives, le format du tapis est passé du format défini par le cadre au format défini par la volonté de l’artisan. Un nom a été attribué en persan pour chaque format de tapis ce qui semble aussi caractérisé la présence de codes/ codification. Au moins six formats sont répertoriés dont le « Ghali » mesurant 190 x 280 cm, le « Dozar » ( « do » en persan deux et zar une mesure persane qui équivaut à 105cm) mesurant 130 x 200cm ou le « Kelleghi » mesurant 150-200 x 300-600cm. Le rectangle serait-il la forme délimitante du territoire propre, de la maison ?
Il est intéressant dès lors de définir les termes de « limite » et « d’espace ».
Une limite, selon les définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, est une ligne qui détermine une étendue, une chose ayant un développement spatial. La ligne qui sépare deux étendues ; induit le mot délimiter qui est le fait de déterminer avec précision les limites. Selon le Dictionnaire Larousse en ligne (2020), la notion de limite est « ce qui circonscrit un espace » (s. d.). Cette vision, plus loin qu’une ligne matérielle, crée et délimite un espace.
Un espace est défini par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, comme un milieu idéal défini, dans lequel se situe l’ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables. De cette définition en ressort l’idée de matériel et d’immatériel, un espace serait à la fois une étendue, une surface, un territoire matériel défini comme une projection mentale ou une perception mentale d’une étendue, d’un lieu ou d’un territoire immatériel défini.
Y a-t-il une corrélation entre le tapis Moyen-oriental au format rectangulaire et la volonté de l’Homme à délimiter un espace ? Le tapis de prière offrirait deux lectures : la matérialité du tapis et son motif induisent un espace matériel de part sa forme et sa matière ainsi qu’un espace immatériel de part la symbolique de la niche de prière. Dans les tapis qui font référence aux jardins, on retrouve cette même correspondance entre espace matériel et espace spirituel. La matière et le motif matérialisent le jardin par l’objet tapis et dans sa représentation la symbolique du jardin crée un support à la spiritualité. Le tapis devient médium.
II.2. CONNEXIONS ECONOMIQUES
Le mot tapis en persan vient du verbe discuter, parlementer. Les tapis représentent un axe central du commerce au Moyen-Orient. Sur la route de la soie, la route du commerce par excellence entre l’est et l’ouest, les marchands affluents chargés de marchandises. Plutôt centrale sur cette route, les grandes villes comme Tabriz, par exemple, sont des centres d’échanges commerciaux. Dans les souks, les galeries les plus importantes sont dédiées aux négociants en tapis. Sur les nombreuses villes que traverse la route de la soie (Ispahan, Tabriz, Kashan, Kerman) le commerce du tapis bat sont plein au cours du XVIème et du XVIIème siècle sous la dynastie Safavides. En termes d’échanges, d’achats ou de cadeaux impériaux et diplomatiques, le tapis est omniprésent et connait une renommée mondiale qui disséminera les tapis persans aux quatre coins du monde en commençant par l’Europe et l’empire Moghol. Tout en restant un produit artisanal accessible, satisfaisant les populations locales qui tapissaient leurs maisons de jardins immortels.
Les hommes ont eu la volonté de poser des frontières, de délimiter des espaces plus ou moins personnels. Dans les populations nomades, la tente et les tapis permettaient de définir un invariant : un « chez soi » où ils peuvent recréer, de façon temporaire mais itérative, un espace à eux, dans lequel vivre.
La volonté de mettre un cadre à toute chose rassure probablement et permet à l’Homme une certaine maitrise, en définissant les limites de chaque chose. Dans l’univers du tapis du Moyen-Orient, Roland Gilles souligne que « l’orient y lit le jardin clos de l’âme et les turcs ottomans, comme les perses Saffavides, développent la symbolique du centre du monde ». Il y a là clairement la volonté de déterminer un espace un endroit tout en laissant libre cours à une imagination certaine, car la perception de monde est très relative et laisse imaginer ce qu’il y a autour du centre, ici autour du tapis. On peut ajouter à la définition précédente du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales sur l’espace, la définition du Dictionnaire Larousse en ligne : « un espace est une étendue, une surface dont on a besoin autour de soi » (s. d.). La notion de besoin ici est pertinente dans cette idée de délimiter, de fixer les limites, car c’est une intervention humaine qui décrit une certaine recherche de repères et de maitrise de son environnement. Le tapis devient point de stabilité.
Le tapis est souvent considéré comme lieu dédié au repos, au recueillement, au recentrage, peut-être apporte t-il un peu de sécurité par sa délimitation. Dans cette même veine les tapis de prière sont rectangulaires, cela correspond aussi à la représentation du mihrâb (niche de prière) représenté comme motif sur ces mêmes tapis.
II.3. EVOCATION DU PARADIS
Dans les tapis persans, nous retrouvons la représentation de jardins. Ces jardins structurés et choyés sont des espaces souvent clos avec des murs qui les protègent des regards extérieurs. D’ailleurs le mot arabe « jannah » signifie « jardin » et « paradis » impliquant le sens de « cacher ». Le climat de ces régions se caractérise par un été très chaud et un hiver très froid ce qui laisse peu de possibilité de prendre soin des jardins durant la période hivernale. De plus l’eau étant une denrée rare au Moyen-Orient, l’ entretien de ces jardins demande une grande richesse et un luxe peu accessible à tous. C’est sans doute pour cela que les artisans représentent des jardins luxuriants dans leurs tapis afin de recréer « un jardin éternel » qui perdurerait dans les maisons l’hiver. Le tapis comme nouveau support du printemps perpétuel tel l’Eden.
Entretenus par l’Homme, les premiers jardins persans étaient organisés en carrés et de façon très méthodique et géométrique représentant ainsi les quatre points cardinaux. Quatre canaux représentant les fleuves du paradis reliaient ces points cardinaux au centre où se trouvait un bassin symbolisant la source de vie. Ils se nomment « Chahar bagh » quatre jardins. Roland Gilles décrit le tapis comme le jardin clos de l’âme, en effet le tapis serait « un territoire parfait pouvant être ouvert et déployé n’importe où, comme un centre qui restitue l’individu dans l’axe du monde ». Le tapis serait donc un cadre délimité où chacun trouverait une certaine stabilité visuelle et rituelle dans un espace déterminé.
Une stabilité technique mais des représentations qui n’ont pas cesser d’évoluer.
III. LE TAPIS IMAGINAIRE
III.1. ESPACE SACRE
Le motif du tapis de prière délimite un espace dans lequel la personne pourra s’agenouiller et se prosterner. La lecture des tapis de prière se fait notamment selon une direction (la qibla), en plan et en élévation. Le tapis parvient en ce sens à susciter une impression de troisième dimension offrant la perception d’un certain espace. Ils « joue un rôle de petit oratoire privé que l’ont peut déployer aux heures canoniques » selon Roland Gilles. Il permet en effet à la personne qui prie d’être dirigée vers le « dessin » du mihrâb comme dans une mosquée et donc permet la création d’un espace intime et religieux transportable. Ces cadres, frontières et espaces matériels apportent donc une stabilité et un certain confort chez l’Homme. Ils apportent, par ailleurs, la possibilité de pouvoir laisser libre cours à l’imagination et dans le cadre de la prière, une certaine élévation de l’âme vers Dieu en tant qu’espace sécurisant permettant de s’extraire du monde. Comme un cadre à la peinture ou un socle à la sculpture, le tapis serait-il un cadre à la méditation, à l’élévation de l’âme ? Envisageant le tapis comme la toile du peintre, celui-ci est un médium d’expression artistique. Les motifs géométriques, floraux et autres que l’on retrouve sur de nombreux tapis persans, outre la volonté décorative, ont une symbolique très précise qui permet de déterminer l’origine et la provenance du tapis mais aussi témoigne d’une expression artistique forte tel l’art sacré du moyen-âge occidental porteur des messages religieux.
III.2. ESPACE MYTHIQUE
Les légendes et mythe de l’histoire de la Perse fournissent matière aux motifs présents sur les tapis. Ces motifs représentés seraient emprunts à la fois au monde naturel, réel ainsi qu’au monde « surnaturel » faisant référence au cosmos, entité complexe et ordonnée ou se rejoignent les mondes matériel et immatériel.
L’arbre que l’on retrouve souvent en motif est directement emprunt au monde naturel, peut être trouvé transformé en « arbre de vie » symbole d’une grande force spirituelle symbolisant la relation entre le monde réel et le monde divin où les racines représentent le sol, l’arbre qui émerge représente la terre et les feuilles symboliseraient le divin en touchant le ciel.
Le jardin comme vu plus haut, est la représentation de la maitrise de l’homme sur la nature, sur une nature qui devient organisée et ordonnée. Il représenterait le jardin éternel de l’Eden, le jardin qui ne meurt jamais et qui est entouré de clôtures afin d’être protégé. Des clôtures qui rappellent les bordures présentes sur les tapis. Le tapis, enveloppant et sécurisant semble éloigner les menaces extérieures et les tentations.
Un bassin d’eau est souvent représenté en motif central. L’eau est très importante dans la culture perse car elle est source de vie. Dans les jardins persans ou dans les représentations des jardins sur les tapis, le bassin est toujours au centre irrigant les quatre parties emblématiques des jardins En tant que motif, le bassin, rempli d’eau, est caractérisé en médaillon et est considéré comme l’emblème du paradis, de l’Eden.
On y trouve aussi très souvent le motif du lotus, fleur aquatique, se composant de trois types de pétales : les premiers sont en forme d’aiguilles, comme des racines, flottant sur l’eau, les deuxièmes sont plus épais s’étendant à la surface de l’eau et les troisièmes poussent en direction du ciel. Appelée dans l’ancien art perse « fleur de vie », cette fleur symbolise, à la manière de l’arbre de vie, la relation opposée mais complémentaire entre l’eau et le soleil.
Les motifs semblent être précisément codifiés en rapport à l’histoire et aux légendes perses tout en se mêlant parfois. Laissant à la fois une interprétation libre de l’artisan et de celui qui regarde mais aussi en caractérisant la volonté de lier le réel et le divin dans un nouvel univers propre où le tapis serait à la fois matrice du fil et matrice d’une expression symbolique. Le tapis serait l’outil de spatialisation d’un imaginaire. En ce sens pourrait on envisager le tapis comme un portail vers l’imaginaire ?
III.3. ESPACE MAGIQUE
Parallèlement aux motifs que l’on retrouve sur les tapis, le tapis en lui même a été sujet important des contes persan et élevé probablement au rang d’emblème de la culture arabo-persane. Tiré des « Mille et Une Nuits », le tapis volant permet de voyager où l’on veut instantanément, comme dans ce passage :
« Un sultan indien a trois fils : Hussein, Ali et Ahmed. Tous trois sont amoureux de leur cousine Nourennahar (lumière, en arabe) et prétendent l’épouser. Pour les départager, le sultan les invite à voyager séparément et à ramener un présent rare et singulier. Il promet sa nièce en mariage a celui qui apportera le présent le plus original.
Hussein, arrive au royaume de Bishangar, est étonné par le prix exorbitant que demande un marchand pour un tapis:
− Il faut donc qu’il soit précieux par quelque endroit qui ne m’est pas connu. 7/10
− Vous l’avez deviné, Seigneur, repartit le crieur. Vous en conviendrez quand vous saurez qu’en s’asseyant dessus, aussitôt on est transporté avec le tapis où l’on souhaite aller, et l’on s’y trouve presque dans le moment sans que l’on soit arrêté par aucun obstacle. »
A l’image d’un tapis volant, le tapis nous transporterait par ses motifs, symboles et histoires vers un nouvel univers.
L’Hétérotopie est un concept théorisé par Michel Foucault (1966), il « a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles. » Le théâtre ou le cinéma sont des exemples d’hétérotopie. Michel Foucault dans son intervention sur France Culture le 7 décembre 1966 parle du jardin comme hétérotopie. Il parle du jardin comme « peut-être le plus ancien exemple d’hétérotopie, création millénaire qui avait certainement en Orient une signification magique (…) Or, si l’on songe que les tapis orientaux étaient, à l’origine, des reproductions de jardins – au sens strict, des « jardins d’hiver » -, on comprend la valeur légendaire des tapis volants, des tapis qui parcouraient le monde. Le jardin est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique et le tapis est un jardin mobile à travers l’espace. » Le tapis oriental ne serait-il pas lui aussi une hétérotopie ?
IV. CONCLUSION
Pour conclure nous pouvons dire que du tapis utile et confortable des nomades au tapis volant issu de l’imaginaire persan, on peut conférer à cet objet plus ou moins banal de prime abord une importance cruciale dans la culture persane. D’une part le tapis est pratique avec ses qualités qui réchaufferait les intérieurs tout en étant transportable. D’autre part les tapis appartiennent à l’histoire de la Perse et emporterait les propriétaires dans un voyage à la fois réel, imaginaire et intemporel. Matrice d’une expression artistique forte, les tapis persans témoignent à la fois d’une histoire, d’une économie, d’une société et d’un art Persan. Sur la route de la soie, par l’intermédiaire des multiples caravansérails et souks, comme aujourd’hui avec l’expansion du commerce mondial, les tapis constituent une part importante de l’économie de la Perse et de l’Iran actuel. Par ce savoir-faire spécifique qui se transmet de génération en génération les tapis sont devenus un emblème d’une culture, d’une identité.
Ayant tous les codes de l’art persan, les tapis semblent être l’interface entre la terre et le ciel, entre le réel et l’imaginaire là où l’homme est incapable de se rendre.
L’omniprésence du tapis persan comme décrit plus haut est importante mais laisse néanmoins place à d’autres types de tapis à différent endroit du monde musulman. Les kilims en Anatolie (Turquie actuelle) ou encore les tapis Berbères au Maroc offrent un vaste champ d’exploration culturelle et symbolique.
« Dieu a établi pour vous de la terre un tapis, pour que vous vous acheminiez par ses voies spacieuses. » (Coran, LXXI, 19:20).
BIBLIOGRAPHIE
– Gibaud, O., 1990, Mieux connaître les Tapis, Les éditions de l’amateur.
– Benardout, R., 1975, Turkish Rugs, Londres, Lund Humphries.
– Catalogue Le ciel dans un Tapis, 2005, Institut du monde Arabe, SNOECK GENT.
– Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2020, https://www.cnrtl.fr
– Dictionnaire Larousse en ligne, 2020, https://www.larousse.fr
– Negar, Z., 2018, Tapis Persans, Histoire de l’Iran – Invitation au voyage, vidéo.
– Auteurs anonymes, Encyclopédie des religions, 1990, Encyclopaedia Universalis
– Baraton A., 2012, Dictionnaire amoureux des Jardins, Plon.
– Les Mille et Une Nuits, trad. Galland, Le Normant, 1806, VII.djvu/145
– FOUCAULT Michel, Dits et écrits 1984, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984
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